Informations cruciaux à connaître avant de traverser l’Atlantique à voile

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Qui a dit que le voyage en voilier évoque implicitement le vent pour faire avancer notre fleur de sel sur les eaux de l’Atlantique. Les courants océaniques jouent également un rôle, transportant notre coque à la dérive, et ils sont souvent liés aux vents, il semble donc approprié d’en parler ensemble. Enfin, lors de la planification d’un voyage, les saisons sont d’une importance cruciale, car elles imposent des fluctuations climatiques, dont il faut tenir compte lors de la planification du voyage.

Les navires de croisière, et surtout leur équipage, préfèrent de loin le porter de près, il faut donc en trouver un minimum pour savoir où et quand naviguer, car en mer plus qu’ailleurs, la ligne droite est souvent loin d’être la plus rapide ! C’est tout cet ensemble atmosphérique-océanique que je propose d’aborder succinctement pour le domaine atlantique que nous traversons depuis de nombreux mois maintenant, en revenant à la préoccupation principale du navigateur : la météo. Cela vous permettra de comprendre certains de nos choix d’itinéraire et de calendrier.

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Les vents dominants de l’Atlantique

L’océan Atlantique est principalement divisé en deux bassins, l’Atlantique Nord et l’Atlantique Sud, qui couvrent ensemble des latitudes allant schématiquement de 60° N à 60° S. Dans chaque bassin, on peut donc distinguer deux zones à chaque fois : la zone tempérée, qui s’étend approximativement du 30e au 60e parallèle, et la zone tropicale, de l’équateur au 30e parallèle. Entre eux, il y a une zone de haute pression, le célèbre anticyclone des Açores dans l’hémisphère nord, et son homologue sud, le cyclone de Sainte-Hélène. Enfin, à l’interface entre les deux zones tropicales se trouve une zone de basse pression, dont nous avions déjà parlé il y a quelques mois : le Pot-au-Noir (ou ZCIT = Zone de convergence intertropicale). Voilà pour le paysage.

De manière générale, les vents dominants soufflent du secteur ouest dans les zones tempérées, et du secteur est sous les tropiques (il s’agit du commerce vents). Cependant, il faut garder à l’esprit qu’il ne s’agit que de vents dominants et que même dans l’Atlantique, où les alizés sont connus pour leur régularité, il peut y avoir des perturbations, allant de la débâcle des alizés à la dépression tropicale, phénomène qui peut dégénérer en ouragan.

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Sur le versant oriental des anticyclones, les alizés sont davantage orientés vers l’équateur, ce qui fait qu’on préfère rejoindre le soleil le long des côtes africaines, le long de la Namibie et de l’Angola via Ste-Hélène au sud, des Canaries au Cap-Vert au nord. Du côté ouest des anticyclones, au contraire, le vent s’éloigne de l’équateur, ce qui explique pourquoi la route de retour des Anticyclones vers l’Europe passe plus facilement par les Bermudes.

L’Atlantique a le fait particulier que le bassin nord est situé beaucoup plus à l’ouest que le bassin sud. Cette asymétrie conduit notamment à un débordement des alizés du sud. hémisphère dans l’hémisphère nord. Au cours de l’hiver méridional, le vent souffle du sud-est le long de la côte nord du Brésil. Côté africain, entre juillet et octobre, un phénomène de mousson apporte des vents du sud-ouest dans le golfe de Guinée.

Dans les zones tempérées, le temps est plus variable que sous les tropiques, car le régime des vents est dominé par le passage des dépressions frontales et par les intervalles (de beau temps) entre ces perturbations. Ces dépressions se forment le plus souvent juste au large du continent américain, puis traversent l’océan vers l’est. La rotation cyclonique se produit dans le sens inverse des aiguilles d’une montre autour des dépressions de l’hémisphère nord et dans le sens des aiguilles d’une montre dans l’hémisphère sud. Ainsi, les vents soufflent du secteur ouest du côté tropical des perturbations, tandis qu’ils proviennent du secteur est du côté polaire.

Il convient toutefois de noter que le passage d’une dépression provoque généralement une rotation importante du vent dans une situation donnée lieu : du sud-ouest au nord-ouest dans l’hémisphère nord, et vice versa dans le sud. La deuxième caractéristique de ces dépressions extratropicales est la présence de fronts, surtout froids, qui sont souvent les plus violents et peuvent s’étendre sur des milliers de kilomètres. Près de la côte sud-américaine, ce sont par exemple les pamperos, dont nous nous méfierons.

Courants océaniques dans l’Atlantique

Carte schématique et grossière des principaux courants et vents dominants de l’Atlantique. Attention, ce diagramme ne sert qu’à vous donner une idée générale, mais beaucoup de choses n’y sont pas représentées pour qu’il reste lisible. Cliquez sur l’image pour la voir en grand format. Les courants océaniques n’ont rien à voir avec les courants de marée. Ces derniers oscillent sur une période essentiellement semi-diurne dans l’Atlantique, tandis que les courants océaniques sont permanents ou du moins saisonniers. Ils ressemblent un peu à de grandes rivières, apportant des masses d’eau différentes de celles qui les entourent (plus froides ou plus chaudes, plus salées ou plus doux). Ils sont principalement mis en mouvement par les vents dominants, ce qui explique pourquoi nous trouvons une circulation océanique qui ressemble en quelque sorte à la circulation atmosphérique.

Dans l’Atlantique Nord, le plus célèbre de tous les courants, le Gulf Stream (chaud), remonte la côte des États-Unis, pour décoller du continent lorsqu’il rencontre le courant du Labrador (froid), venant du nord. Il s’étend ensuite vers l’ouest, devenant la dérive de l’Atlantique Nord. La boucle continue avec le courant des Canaries (froid), qui descend le long de l’Afrique, et retourne aux Antilles avec le puissant courant équatorial. Au sud, ce dernier est prolongé par le courant brésilien (chaud) que nous connaissons maintenant assez bien, ramifié vers l’ouest lorsqu’il rencontre le courant des Malouines (froid), venant du sud. Il rejoint ensuite le très vaste courant du Sud, qui se déplace vers l’est. Une branche remonte ensuite le long de la côte africaine, le courant de Benguela (froid), pour trouver la circulation équatoriale.

Les océans sont donc animés de deux grosses boucles dont certaines branches atteignent ou dépassent parfois deux ou trois nœuds, ce qui est loin d’être négligeable à l’échelle d’un voilier. Il est donc nécessaire d’essayer d’en faire bon usage, ou du moins de limiter leurs effets néfastes lorsque c’est le cas.

Variabilité saisonnière de l’Atlantique

Les centres d’action atmosphérique (anticyclones subtropicaux, dépressions extratropicales, ICZ) oscillent en latitude en fonction des saisons. Ils ont tendance à suivre le Soleil avec environ un ou deux mois de retard (phénomène d’inertie thermique), de sorte que l’ensemble atteint son extension la plus septentrionale fin juillet et la plus méridionale fin janvier. Ainsi, le Pot-au-Noir est plutôt autour de 7° N en juillet (lorsque nous l’avons traversé), alors qu’il est très proche de l’équateur en janvier. Les zones soumises au régime pluvieux et orageux de la CITZ fluctuent donc au cours de l’année, entraînant des saisons humides et sèches sous les tropiques.

Les alizés sont souvent plus soutenus dans en hiver qu’en été, où ils peuvent souvent être perturbés, notamment par les vagues tropicales ou même les ouragans. Celles-ci affectent le bassin des Caraïbes de juillet à novembre, avec un maximum en septembre, et il est donc impératif de prendre en compte ce facteur lors de la navigation dans la moitié ouest de l’Atlantique Nord. L’Atlantique Sud, en revanche, n’est pas touché par les cyclones, car l’eau est trop fraîche ! De plus, les dépressions dans les zones tempérées sont généralement plus prononcées en hiver qu’en été.

Toutefois, la circulation océanique ne subit pas de variations saisonnières aussi importantes. Les courants restent à peu près les mêmes, mais ils circulent avec des degrés d’intensité variables. Dans certains cas, ils peuvent céder la place à un contre-courant côtier, le long de la côte brésilienne en hiver, par exemple. Cependant, il est important de se rappeler que le vent et le courant dans des directions opposées ne fonctionnent pas bien ensemble, vous devez donc éviter d’être surpris par une rafale de vent dans un courant opposé. Bateaux qui rencontré un ouragan dans le Gulf Stream ont ainsi rencontré des mers dantesques.

Les pièges à éviter dans l’océan

Atlantique Passons maintenant de la théorie à la pratique, en essayant d’exploiter toutes ces informations. Nous naviguons à bord d’un petit bateau de croisière, qui préfère de loin le porter de près, qui se déplace lentement, au moins assez pour s’inquiéter des courants. Nous devons donc accepter que vous ne puissiez pas tout faire à tout moment. Tout d’abord, voici ce qu’il ne faut pas faire :

  • Pour naviguer en période d’ouragan, il faut rester à proximité d’un abri sûr dans la région. Embarquer sur une traversée hauturière à ce moment-là est inconscient : vous êtes alors presque certain de rencontrer un ouragan, surtout lors d’un transat. Certains ont même rencontré plusieurs…
  • La traversée de l’Atlantique Nord entre novembre et avril est une affaire plutôt musclée, la hauteur moyenne des vagues étant supérieure à 4 m, alors qu’en été elle est de 2 m ou moins. À moins de le faire en course, vous évitez de traverser l’Atlantique en plein hiver. N’est-ce pas, Jerome ?
  • 😉 La saison des glaces s’étend dans l’Atlantique Nord jusqu’en juin autour de Terre-Neuve et du Groenland. Il vaut mieux éviter de jouer au Titanic ! La navigation sous les hautes latitudes attendra sagement l’été…

Et maintenant, qu’est-ce qu’il vaut mieux éviter :

  • Les anticyclones sont de gros individus dont la partie centrale est très peu venteuse. De plus, ils se déplacent assez lentement, nous essayons donc de les contourner plutôt que de les traverser (sauf si vous avez de sérieuses réserves de diesel !) Évidemment, si vous voulez aller aux Açores, c’est une autre histoire !
  • De même, le Pot-au-Noir est également connu pour ses brises évanescentes, ainsi que pour ses grains avec de fortes pluies et parfois violemment orageuses. Son déplacement est plus irrégulier, mais en tout cas il est plus étroit à l’ouest qu’à l’est. La bonne stratégie consiste à le traverser le plus perpendiculairement possible, et non dans le sens de la longueur, comme nous l’avons entendu dire par un équipage qui préférait évidemment le ligne droite, mais arrivé au Brésil délavé dans tous les sens du terme !
  • Le golfe de Guinée a un régime de mousson méridionale qui s’étend bien au large des côtes, et pour éviter les vents contraires, nous éviterons de traverser l’Afrique de l’Ouest vers le Brésil entre la mi-juillet et le mois d’octobre. C’est pourquoi nous nous dépêchons de quitter le Cap-Vert à la fin du mois de juin.
  • Enfin, nous éviterons de remonter contre les alizés et les courants associés. Si nous voulons rallier l’Amérique du Sud depuis les Antilles, nous serons confrontés au puissant courant équatorial, en plus des vents contraires, ce qui n’est pas une mince prouesse. À moins que vous ne vouliez jouer à la ruse le long de la côte, ou que vous ayez à faire le grand tour, il vaudra mieux planifier un autre itinéraire ! De même, remonter la côte de l’Afrique de l’Ouest vers le nord signifie faire face au vent et au courant. Et pour la même raison, il est presque impossible de descendre la côte africaine dans l’hémisphère sud. Plutôt à éviter, alors.

Choix de la route Atlantique

Enfin, maintenant que nous avons évoqué les principaux pièges, et sans vouloir remplacer quelques livres beaucoup plus complets sur le sujet, parlons maintenant des itinéraires que nous sommes amenés à emprunter lorsque nous voyageons en voilier. Pour plus de détails, je recommande particulièrement la lecture de High Cruise Routes, de Jimmy Cornell, un ouvrage essentiel dans votre bibliothèque de bord. Dans les grandes lignes :

  • De l’Europe à l’Amérique du Nord ou aux Antilles, la route traditionnelle passe par le sud de l’Anticyclone des Açores, à la limite des alizés du nord-est. C’est l’occasion de passer par les îles Canaries et le Cap-Vert, mais il ne faut pas le lancer avant novembre pour ne pas risquer de tomber sur un ouragan en cours de route.
  • En provenance des Antilles (ou du Nord) Amérique) vers l’Europe, nous contournons également l’Anticyclone des Açores, mais au nord cette fois-ci, par exemple en passant aux Bermudes et pourquoi pas aux Açores elles-mêmes. Dans tous les cas, nous pouvons faire bon usage du Gulf Stream. Il vaut mieux attendre l’été, mais on évite de partir après le début du mois de juin, toujours à cause des cyclones.
  • De l’Europe à l’Amérique du Sud, il n’y a pas de problème d’ouragan et la route est presque directe. Mais la saison idéale pour traverser le Pot-au-Noir est plutôt pendant l’été sud, les alizés de l’hémisphère nord étant favorables plus longtemps et ceux de l’hémisphère sud le contraire pendant moins de temps.
  • De l’Amérique du Sud aux Antilles, la route sera d’abord modérément favorable en remontant la côte est du Brésil, car le courant s’y dirige vers le sud. Mais une fois Recife passée, ce sera l’autoroute menant aux Guyanes.
  • De l’Amérique du Sud à l’Afrique australe, il est encore nécessaire de contourner l’anticyclone, et Venez flirter avec la quarantième. En été, il faudra peut-être descendre plus au sud pour trouver des vents porteurs qu’en hiver, mais nous aurons en moyenne 2m de vagues, contre 4m en hiver…
  • Inversement, de l’Afrique à l’Amérique du Sud, il est nécessaire de contourner l’anticyclone, mais par le nord, de préférence en été. Nous faisons bon usage des alizés très réguliers de l’Atlantique Sud, en passant par l’exemple de Sainte-Hélène. Cela signifie que si vous voulez aller au sud du continent américain, vous devrez d’abord viser l’est du Brésil avant de redescendre.

Évidemment, à moins de disposer d’un temps illimité, vous devez réussir à combiner tous ces éléments pour enchaîner les destinations de la manière la plus optimale possible. Pour paraphraser Jean-François Deniau, il faudra éviter de faire la mauvaise chose, de faire ce qu’il faut, et enfin d’avoir de la chance avec le vent et la mer. Tout ici est une question de compromis, d’autant plus que nous sommes également soumis à d’autres contraintes, administratives. Mais c’est une autre histoire, beaucoup moins passionnante que ça. Parce que le marin préfère toujours être soumis aux caprices de la nature plutôt qu’aux humeurs des hommes…

Vous pouvez continuer votre lecture sur cette page. Vous retrouverez toutes nos histoires de navigation dans l’océan Atlantique, que nous avons traversé pas moins de trois fois au cours de notre voyage !